Si l’inventaire établi en 1893 et le règlement organisant la bibliothèque de la brigade des Six-Routes étaient toujours là bien que souvent en mauvais état, les ouvrages eux-mêmes étaient absents.
Les bibliothèques forestières
L’arrêté réglementaire du 23 juin 1874 présente les objectifs de ces bibliothèques : « La direction générale des Forêts a établi, dans le but de donner aux préposés le goût de la lecture, des bibliothèques composées d’ouvrages de science, de littérature et de morale, qui sont mis à la disposition des gardes et de leur famille ». Curieusement, aucune circulaire de l’administration des forêts ne répercute ce règlement ! Ces bibliothèques étaient installées dans la maison forestière du brigadier - le responsable d’une « unité territoriale » d’aujourd’hui - dont dépendait 3 à 5 gardes, 2 ou 3 gardes-cantonniers [1] et, dans notre cas, un garde-pêche [2]. Ce dernier ne dépendait pas encore – ce ne sera le cas qu’en 1886 – de l’administration forestière mais son accès à la bibliothèque forestière était prévu.
Le règlement comptait 12 articles, pour en montrer les principaux, nous utilisons ce que le guide du forestier de Bouquet de la Grye (1885, p. 296 à 298) en donnait.
L’inventaire de la bibliothèque des Six-Routes
Le 30 décembre 1893, la bibliothèque des Six-Routes comprenait un total de 85 livres.
C’est la liste des ouvrages qui stupéfie et donne tout son intérêt - et tout son sel - à ce document. Le premier ouvrage, Le Blocus d’Erckmann et Chatrian, est le récit du siège de Phalsbourg en 1814. Il relate les scènes dont la petite ville lorraine fut le théâtre, les ravages du bombardement, les souffrances héroïquement acceptées par la population. Ce livre est suivi de la Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ selon les quatre évangélistes par le député profondément chrétien Henri-Alexandre Wallo édité en 1865. L’article 2 du titre X de l’ordonnance de 1669 qui obligeait les gardes à « faire profession de la religion catholique, apostolique et romaine » ne semble pas loin.
Pourquoi les Fables de Florian (Sainte-Beuve, 1870) et l’édition de 1847 du théâtre de Corneille ont-elles été rayées ? Tout comme, au verso de cette page, Carnot l’organisateur de la victoire (Picard, 1887) et L’avènement des temps nouveaux (Bonnefoy, 1838). L’ouvrage Jeanne d’Arc a dû être souvent emprunté, il est signalé comme étant « en mauvais état ». Le registre d’inventaire prévu à l’article 4 du règlement a été - partiellement - retrouvé. Il semble que Autour des drapeaux de Marc Bonnefoy (1891) et Un français, le colonel Denfert-Rochereau, d’Auguste Martin (1884) aient été parmi les succès de lecture.
Ce qu’il subsiste de l’inventaire de la bibliothèque des Six-Routes permet de ne détecter que 56 titres sur les 85, soit les deux tiers. Et, à part le n° 85 (Les insectes nuisibles de Minault), aucun n’est un ouvrage de technique forestière. Ce constat rejoint et illustre celui de Buttoud observant que « les directives que l’on donnait au préposé relevait d’abord de la morale. Lorsqu’en juin 1874, furent instituées des bibliothèques de brigade, l’Administration chercha surtout à ce que les bibliothèques comprennent “des ouvrages de morale chrétienne, d’histoire nationale, d’hygiène“ » [3].
Où étaient les ouvrages techniques ?
En 1785, tous les gardes forestiers des forêts royales – ce que n’était pas formellement celle d’Orléans – avaient été dotés de la très remarquable « Instruction abrégée pour les gardes des eaux et forêts, pêches et chasses du département du Languedoc, Guyenne, Béarn et Navarre » rédigée en 1683 par le grand maître Louis de Froidour et constamment mise à jour depuis. Les devoirs et les droits des gardes y étaient exposés, des modèles de procès-verbaux pour délits forestiers, de chasse ou de pêche fournis. Pour tout savoir de ce qu’étaient la fonction d’un garde forestier, la législation sur les forêts, le droit et les pratiques de la chasse et de la pêche aux 17e et 18e siècles, c’est ce livre qu’il faut lire. L’ordonnance de 1669 ayant perduré jusqu’en 1827, date de la promulgation du code forestier, cet ouvrage eut une durée de vie remarquable. Sans le dire, ses successeurs le copièrent allègrement.
Buttoud rappelle aussi que « jusqu’à la Monarchie de Juillet, […], tout le matériel nécessaire au service resta à la charge des gardes ». Comme aucune circulaire de l’Administration des Forêts ne parle d’ouvrages techniques dont les préposés auraient pu être dotés, je suis persuadé que les livres étaient achetés par eux et, pourquoi pas ? comme les marteaux particuliers, revendus à leurs successeurs. Faisaient-ils partie de leur héritage ? ce qui est le cas d’un ami qui possède un ouvrage de sylviculture de 1881, son ex-libris prouve qu’il s’agissait d’un ouvrage ayant appartenu en propre à un aïeul brigadier.
Si un lecteur pouvait nous informer sur ce qui se trouvait comme ouvrages techniques sur les étagères des préposés forestiers, j’en serai très heureux.
[1] En 1844, les gardes cantonniers étaient créés. Chacun, muni - à leurs frais ! - d’un outillage avait un domaine très précis et… fort vaste. Par exemple, l’un de ceux de la brigade des Six-Routes, devait, en 1852, s’occuper de 5 146 m de routes empierrées, de 61 952 m de routes non empierrées et de 6 585 m de routes sur fascines. A Orléans au moins, avaient aussi été créés des grades-planteurs à qui l’on doit sans doute les milliers d’hectares de pin sylvestre alors introduits.
[2] Ce garde-pêche était chargé de surveiller la Loire sur 63 km et différentes rivières sur 58 km.
[3] Buttoud G., 1985 - L’État paternel : les gardes forestiers du XIXe siècle face à l’Administration, Jalons pour une histoire des gardes forestiers, actes du séminaire des 20-21/09 1984 ; GHFF, CNRS, Institut d’histoire moderne et contemporaine, INRA Laboratoire d’économie forestière et agricole, p.113-135.