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En direct avec... / Amélie Grandjean, spécialiste CLT chez Monnet-Sève

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Monnet-Sève est l’un des principaux scieurs français et l’exemple d’un acteur de l’amont qui a su étendre ses activités vers la production de produits bois construction. Il s’impose aujourd’hui comme l’un des pionniers français en matière de fabrication de CLT. Amélie Grandjean, ingénieure en charge de la production de CLT, évoque les conditions propices ayant favorisé le démarrage de cette nouvelle activité, ainsi que les contraintes d’organisations inhérentes à ce type de produit.

Le Bois International - Quand et comment l’entreprise Monnet-Sève a-t-elle décidé de démarrer une production de CLT ?

Amélie Grandjean : L’idée a commencé à germer à la fin de l’année 2012. Elle consiste globalement à valoriser, à travers un produit innovant, certaines sections issues de notre activité de sciage (qui demeure la vocation majeure de l’entreprise, NDLR). Nous sommes scieurs et disposions, relativement au CLT, d’une matière première en quantité suffisante pour envisager d’initier une production. Le CLT, ainsi, a ouvert de nouvelles perspectives aux lamelles latérales, qui sont les premières planches issues du sciage d’une grume. Il s’agit d’éléments de faible épaisseur, mais possédant une bonne résistance mécanique. De ce point de vue, ils conviennent bien à la production du CLT, qui requiert des lamelles d’une épaisseur comprise entre 17 et 44 mm.
Outre la taille, l’esthétique rentre aussi en ligne de compte : dans le cas d’une essence comme le sapin (1), qui comporte des nœuds un peu plus gros et présente un aspect plus hétérogène que l’épicéa, le CLT constitue aussi une piste de valorisation des plus pertinentes.
On fabrique donc le CLT essentiellement à partir de sapin et d’épicéa. Quant au douglas, on le valorise davantage sous forme de lamellé-collé, de lames de terrasse ou de bardage, d’autant qu’il s’agit d’une essence plus coûteuse . Il reste néanmoins une offre possible pour le CLT, une de nos spécificités.

LBI - Pouvez-vous nous expliquer de quelle façon cette production s'est mise en place, et ce qu'elle a impliqué en termes d'acquisition de matériels et d'organisation ?

A. G. : Pour démarrer notre production de PLX (2), nous avons pu compter, outre sur une disponibilité de matière première du fait de notre activité de scieur, sur du matériel d’ores et déjà en notre possession. C’est ainsi qu’étant donné que nous sommes aussi producteurs de lamellé-collé, nous étions déjà en capacité de proposer des bois séchés, rabotés et aboutés rentrant dans la production des panneaux PLX. De même nous disposions, en amont de la ligne de production de lamellé-collé, d’une ligne de classement structurel.
Nous avons par contre fait l’acquisition de nouveaux matériels pour démarrer la fabrication de CLT, à commencer par une presse sous-vide de marque Woodtech, une entreprise suisse. Cette presse, impliquant un investissement moins lourd qu’une presse hydraulique ou mécanique, permet en outre d’obtenir une pression homogène. Elle est très flexible et n’impose pas de longueur standard, la longueur totale de la presse étant de 20 m, sachant que nous pressons des panneaux d’une dimension maximale de 3,50 m x 16 m. Cette presse est arrivée dans nos ateliers en août 2013.
En avril 2014, nous avons réalisé un second investissement dans un centre d’usinage 5 axes du constructeur italien Uniteam. Nous possédions déjà une K2 de chez Hundegger avec laquelle nous avions commencé la production, mais nous souhaitions une machine en mesure d’usiner des pièces de tailles plus importantes et plus spécialisée «panneaux», la K2 demeurant cela étant un très bon outil, notamment pour notre production de lamellé-collé.
Nous avons intégré la nouvelle production à la partie de nos ateliers dédiée au lamellé-collé. Mais il faut souligner à ce propos qu’un espace important est nécessaire, si l’on considère que la presse fait 20 m, le centre d’usinage 13 m, et qu’il est nécessaire de disposer d’une place suffisante pour stocker les lamelles à mettre sous presse.
Nous avons par ailleurs embauché du personnel afin de s’occuper de la presse et du centre d’usinage.

LBI - Pouvez-vous nous décrire, en détails, le fonctionnement de votre chaîne de fabrication de CLT ?

A. G. : Le CLT, étant donné notamment sa taille, est un produit qui d’emblée implique de s’organiser en conséquence : ainsi, lorsque l’on reçoit un projet, nous devons savoir comment regrouper les panneaux en vue de satisfaire à la fois à l’ordre de production et à l’ordre de montage. C’est en partant de ces contraintes de déchargement et de montage que l’on définit l’organisation de la production, tout en essayant de limiter le stock en cours. Le travail de préparation est bien plus conséquent que dans le cas du lamellé-collé, car la surface importante des panneaux de CLT implique une organisation plus précise sans laquelle les espaces de stockage demandés seraient trop importants.
La première étape consiste dans la fabrication de deux types de lamelles, longitudinales et transversales, à partir de bois secs rabotés issus de la ligne de classement structurel. Ces bois peuvent également être aboutés selon la longueur totale du panneau. Il y a deux façons de croiser les lamelles, selon que l’on envisage un panneau devant être employé en plancher ou en mur. Dans le premier cas, ce sont les grandes lamelles qui sont posées en premier, contrairement au cas du mur, où l’on commence par les lamelles transversales . La deuxième étape correspond à l’encollage et au pressage du panneau, suivie du taillage.
On alterne dans la presse la mise en place des plis et l’encollage.
Le pressage est assuré par la dépression à l’intérieur de la presse sous vide.
Les panneaux, une fois collés, sont usinés.
Au-dessus de la table du centre d’usinage se déplace un portique équipé d’une broche 5 axes, sur laquelle on peut monter jusqu’à une dizaine d’outils ainsi qu’une scie de diamètre 735 mm, permettant de détourer le panneau. Les outils se composent de mèches de perçage, de défonçage, et d’un arsenal divers pour répondre à un vaste éventail de configurations.
Après le détourage, on réalise les usinages qui serviront de jonctions entre les panneaux, les réservations pour les portes, les fenêtres, les trémies…
Ce type de production n’implique pas d’assemblages très complexes, mais les usinages peuvent être nombreux et, surtout, concerner des pièces de grandes dimensions.

LBI - Comment votre production a-t-elle évolué, et quelles sont les principaux débouchés pour vous à l'heure actuelle ?

A. G. : Notre production est en croissance et a été notamment stimulée par l’obtention, en mars 2015, d’une certification Atex A. Cette appréciation technique expérimentale, délivrée par le CSTB, est valable pour deux ans et sur tous types de chantiers. Elle explicite l’ensemble des étapes de la vie du panneau, tel un mode d’emploi, et offre la possibilité de commercialiser des panneaux CLT sur les marchés publics.
Afin d’obtenir cette certification, nous avons mené un travail de plus d’un an, consistant en la réalisation de tests au feu, acoustiques et mécaniques (y compris des tests portant sur un comportement sismique des panneaux). Ces tests portent aussi sur la performance physique ainsi que la perméabilité à l’eau et à l’air des panneaux. Le Critt bois d’Epinal a travaillé avec le CSTB afin d’établir la liste des éléments techniques que nous devions apporter pour l’Atex. Les tests ont ensuite été conduits à la fois au Critt bois et au CSTB.
Nous pouvons donc à présent répondre à tout type de chantiers inclus dans une famille de résistance au feu de type 3B, c’est-à-dire dont le dernier plancher est situé à 28 m de hauteur.
Le marché français de CLT représente un volume d’environ 30.000 m3. Sur l’année 2015, nous avons été consultés pour l’équivalent de 20% de ce marché. Toutefois, nous n’avons pas produit toute cette quantité. Nos principaux débouchés concernent nos clients déjà existants, et s’étendent donc aussi bien au secteur de l’habitat individuel qu’à celui de l’habitat tertiaire. Il s’agit principalement d’une clientèle de charpentiers poseurs.
En ce qui concerne l’habitat individuel, le CLT rentre certes en concurrence directe avec l’ossature bois, qui est moins chère, mais on note que certains clients apprécient l’aspect disons monolithique du CLT qui en cela tend à rassurer, dans un pays où la culture de la construction bois est encore assez peu développée.

LBI - Quel est, pour un fabricant français précurseur dans le domaine du CLT tel que Monnet-Sève, le contexte concurrentiel contemporain, et comment parvenez-vous à vous imposer ?

A. G. : La concurrence sur le marché du CLT vient principalement, à l’heure actuelle, d’Allemagne et d’Autriche, deux pays eux-mêmes précurseurs dans ce domaine, et dont l’offre est bien implantée en France.
Notre force, en comparaison, est de proposer une production entièrement réalisée en France à partir de bois français, et donc de faire travailler une main-d’œuvre locale. Quoique nous ne disposions pas d’une capacité de production semblable aux géants allemands ou autrichiens, nous sommes en mesure de proposer à nos clients une grande flexibilité ainsi qu’un service de proximité, ce qui n’est pas négligeable. Et nous sommes, globalement, en capacité d’apporter une réponse complète dans le cadre d’un chantier, étant donné le caractère polyvalent de notre activité. Le CLT, en effet, demeure pour nous un produit s’inscrivant en complément de l’ensemble de nos autres activités.
Notre production a été multipliée par deux en 2015 par rapport à l’année précédente, et nous espérons bien sûr continuer sur cette lancée en 2016.

LBI - Quelle est, enfin, la situation du CLT à l'heure actuelle sur le plan réglementaire, et quelles améliorations vous semblent souhaitables ?

A. G. : Le CLT, pour l’heure, est un produit bois construction encore non traditionnel, et ne dispose pas de cadre réglementaire à proprement parler, même si une norme produit vient d’être publiée. Pour répondre aux marchés publics, cette norme n’est pas suffisante car elle ne cadre que l’aspect fabrication. La norme permet d’attribuer des valeurs seuils de résistance sur certaines sollicitations mais elle ne permet pas d’expliquer comment on calcule des structures composées de ces panneaux.
Notons à ce propos qu’une Atex A est équivalente à un avis technique, si ce n’est que ce dernier implique pour être obtenu d’être en mesure de revendiquer des chantiers et offre par contre une validité d’une durée de sept ans. Une dizaine d’entreprises, pour l’heure, dispose d’un avis technique concernant le CLT.
Un encadrement réglementaire, permettant de simplifier les démarches longues et coûteuses, qui dans l’état actuel des choses demeurent des étapes incontournables pour faire valoir son CLT, est bien entendu souhaitable. L’association CLT France travaille d’ailleurs en concertation avec l’institut technologique FCBA et le CSTB pour rédiger des propositions allant dans ce sens.

Propos recueillis par
Stéphane Jardin

Scierie

Construction bois

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