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Vers un retour de la sylviculture truffière jardinatoire ? 

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Les truffières plantées peuvent rapporter de 1000 euros/ha/an à 10000 €/ha/an.

Crédit photo B. Rérat
La truffe intéresse de plus en plus les forestiers. Récoltée à partir de plantations de plants mycorhizés, sa production est encore faible. Une alternative se présente dorénavant avec la restauration d’anciennes truffières naturelles traitées de façon jardinatoire.

La personne qui nous reçoit nous a prévenus. « Je veux bien vous parler de la truffe mais je ne souhaite pas que mon nom ni que le lieu où je la cultive soient divulgués. » Le ton est donné : la truffe est un sujet sensible et un produit qui suscite beaucoup de convoitises dans nos campagnes. Il convient donc d’être prudent lorsqu’il s’agit de parler de l’endroit où le sous-sol pourrait receler ces petites pépites.

La réalité, c’est que ce champignon sous-terrain – un ascomycète hypogé vivant en symbiose avec certains arbres * – est une véritable offrande de la nature. Il se négocie à prix d’or en particulier à la veille des fêtes de fin d’année où, par exemple, les cours de la truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum) peuvent atteindre 1 500 euros/kg.

Les tarifs de la truffe blanche d’Alba (Tuber magnatum) eux, peuvent même s’envoler jusqu’à 5 000 euros/kg ! Dans ces conditions, on peut comprendre que certains producteurs préfèrent rester discrets sur leurs activités, d’autant que des vols et même des agressions sont régulièrement rapportés dans les gazettes. La rareté et l’empressement de la demande expliquent un engouement qui fait de la truffe un produit de luxe très recherché.

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Les cours de la truffe au plus haut en fin d'année. Région Sud-Est, marché de Producteurs de Carpentras. Prix au détail en euros HT/kg de Tuber melanosporum.
Crédit photo : Bulletin Truffe FranceAgriMer

À peine 40 tonnes récoltées chaque année

Mais il n’en a toujours pas été ainsi car, avant de passer au rang de mets aussi raffiné que précieux, la truffe n’était qu’une nourriture à porcin. Sait-on qu’au début du XXe siècle, la truffe abondait et qu’elle n’était qu’une pitance si commune qu’elle pourvoyait le quotidien des gens des campagnes et même de leurs bestiaux. Dans l’Hexagone et vers 1900, la production de truffes s’établissait entre 1 000 et 2 000 tonnes/an.

Même les plus avertis ont du mal à imaginer le caractère exceptionnel des récoltes d’antan. Docteur en physique nucléaire et trufficulteur passionné depuis sa retraite, Roland Del Négro connaît bien la question. « Les truffes étaient énormes, un record a même été enregistré en 1912 pour un spécimen de 10,5 kg dans une truffière spontanée des Alpes-de-Haute-Provence. De nos jours les plus gros gabarits pèsent tout juste 1,5 kg. »

Désormais, la production française atteint à peine à 40 tonnes dans les meilleures années. Les raisons de ce déclin ? Assurément, les sécheresses à répétition depuis la fin du siècle dernier. Mais le milieu a aussi changé dans ses dimensions sociales et économiques. En raison de l’exode rural, les taillis truffiers naturels et clairiérés ont périclité en se refermant. Le manque de lumière arrivant au sol a été fatal à la truffe. Tandis que la truffe renouait avec la demande en devenant une provende de luxe dans la 2e moitié du XXe siècle, l’évolution des conditions de milieu a entraîné une chute vertigineuse de la production.

Plantations truffières à grands espacements

Avant son déclin, la truffe se récoltait dans des peuplements plus ou moins naturels – souvent des taillis simples de chênes – gérés empiriquement en traitement jardinatoire. Depuis quelques décennies, la production de truffes en France provient essentiellement de plantations d’arbres mycorhizés artificiellement : chênes kermès, pédonculé, pubescent, rouvre, vert…, noisetiers, tilleul, pins…

Par ses méthodes culturales, la truffière plantée s’apparente plus aux peupleraies qu’aux plantations forestières classiques. Avant plantation, le terrain nécessite un labour superficiel. Installés à grands espacements (200 à 300 tiges/ha), les plants doivent recevoir un paillage. L’obligation de les protéger contre le sanglier – principal prédateur des truffières – requiert une clôture appropriée. Par la suite, des entretiens par labours superficiels du sol et gyrobroyages des adventices sont à prévoir, ainsi que des tailles et des élagages.

Les différentes espèces ne présentent pas les mêmes exigences de milieu mais des besoins communs existent entre elles, par exemple le soleil et le vent. L’analyse du sol préalable à toute éventuelle implantation revêt une importance particulière car la truffe donne sa pleine mesure sur un sol équilibré chimiquement, calcaire (PH 7,5 à 8), à sous-sol drainant et fracturé permettant au mycélium de se développer.

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Les prix de la truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum) peuvent atteindre 1 500 euros/kg.
Crédit photo : B. Rérat

La truffe a besoin d’un écosystème complexe et équilibré

« Les grosses chaleurs estivales, le manque d’eau, et les fortes gelées d’hiver sont des éléments négatifs contribuant à l’échec des plantations de truffe. » Trufficulteur dans le Gard, Jean-Claude Fonzes ajoute qu’au pied des Cévennes, les truffes qui poussent sur des sols sablo-limoneux, bien aérés, apparaissent plus rondes, plus uniformes et plus jolies. Ses spécimens bénéficient donc de prix intéressants.

Des signes de présence naturelle de truffes dans le sol du terrain convoité sont également des informations importantes pour la prise de décision d’installer des arbres mychorizés. « Les truffières naturelles sont en effet des indicateurs de potentialité d’une production possible pour une truffière cultivée », confirme Roland Del Négro.

La lumière joue également un rôle important dans la réussite d’une plantation car la fermeture du milieu concourt à la disparition des brûlés provoqués par la truffe. « Le brûlé qui se trouve à la surface du sol autour du pied de l’arbre, provient de bactéries associées à Tuber melanosporum et inféodées à l’écosystème arbre-sol-micro faune-micro flore et champignons dont l’équilibre profite à la truffe », explique Roland Del Négro.

Réhabiliter les truffières sauvages

La fermeture du milieu a été un des facteurs déterminant de la régression des truffières naturelles. « Si elles ont reculé, c’est sans doute parce que l’homme n’a pas fait ce qu’il fallait, notamment en évoluant vers des pratiques culturales qui ont laissé la forêt épaisse et les broussailles envahir les truffières sauvages. » Pour Michel Rouvier, propriétaire forestier dans le Haut Var, la truffière sauvage est une zone de transition momentanée entre une déprise agricole et l’apparition de la forêt.

D’après lui, dans le passé l’homme entretenait involontairement les truffières sauvages. « Dans les années 1950, les gens des campagnes soignaient leurs parcelles de bois en ébranchant les troncs et en taillant les houppiers pour limiter leur développement et laisser passer la lumière au sol. » Michel Rouvier pense que ces travaux ne ciblaient que quelques arbres très prolixes, et souvent placés en lisières de champs, en bords de chemins.

Aujourd’hui, certaines de ces truffières spontanées qui ont sombré dans l’oubli, retrouvent une seconde jeunesse avec la sylviculture truffière jardinatoire. Respectueuse des dynamiques naturelles des milieux forestiers, cette sylviculture traditionnelle remise au goût du jour concerne des peuplements naturels à réhabiliter ou des plantations truffières non productives à rénover.

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Truffière sauvage avant coupe jardinatoire.
Crédit photo : B. Rérat

Des coupes jardinatoires

De plus en plus de forestiers s’intéressent donc à la sylviculture truffière jardinatoire qui se présente comme une alternative aux plantations truffières dont les pratiques culturales s’apparentent à celles des vergers arboricoles. De son côté, la sylviculture truffière jardinatoire se caractérise par son traitement irrégulier qui se fonde, dans le cas particulier de la truffe, sur la gestion et le maintien durable d’un peuplement clairièré.

Cet objectif d’obtention d’un milieu ouvert répond en effet aux besoins en lumière et en aération de la truffe. Il s’accomplit en réalisant des éclaircies dans les peuplements en place et en pratiquant des opérations de régénération. Celles-ci résultent de recépages de tiges de taillis ou de régénération naturelle en favorisant le développement de semis (généralement à partir de glands). La régénération assistée, visant à enrichir les peuplements par plantations ponctuelles, peut également s’envisager.

Les interventions combinent des coupes jardinatoires à rotations courtes (3 ans) et des travaux sylvicoles visant essentiellement à provoquer l’association mycorhizienne de l’arbre et du champignon. En fonction de l’état des boisements et des conditions stationnelles, les coupes et les travaux peuvent s’étendre à l’ensemble du peuplement ou, au contraire, ne cibler que des surfaces limitées et jugées favorables par le gestionnaire car portant quelques arbres potentiellement truffiers.

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La coupe jardinatoire aère le peuplement.
Crédit photo : B. Rérat

Des revenus non négligeables

Le but des coupes et les travaux jardinatoires est de créer des ouvertures dans le couvert forestier. Il s’agit ici de travailler le peuplement en dosant les différentes strates présentes ou de favoriser leur apparition si elles n’existent pas. Les arbres vigoureux et producteurs doivent disposer de suffisamment d’espace pour développer leur système racinaire siège des associations mycorhiziennes.

Ceux vieillissants, dépérissants et gênants de meilleurs sujets sont coupés. Il en va de même pour les arbres trop élancés. Par ailleurs, des tailles de formation et des élagages accompagnent l‘arbre truffier dans la constitution d’un houppier aéré et bien conformé. L’emploi de phytocides et autres produits chimiques susceptibles de perturber la sensibilité mycélienne du champignon est évidemment à proscrire.

La sylviculture truffière jardinatoire permet aux propriétaires forestiers de tirer des revenus non négligeables de peuplements naguère déshérités car installés sur des sols calcaires pauvres. « Dans notre région, une truffière sauvage donne en moyenne 1 kg par hectare et par an et les plus gros spécimens ne dépassent pas 300 gr », indique un propriétaire forestier de la Drôme. Cependant, ces indices de production ne sont pas comparables à ceux des truffières plantées.

Les multiples services du jardinage

En raison de l’emploi de plants mycorhizés dont la sélection a été poussée en pépinières et de soins culturaux intensifs, les plantations truffières peuvent effectivement générer des revenus conséquents mais très variables en fonction de divers paramètres. « Selon les conditions de milieu, les entretiens et la qualité des plants, une truffière plantée commencera à produire vers l’âge de 7-8 ans, et pourra rapporter de 1 000 euros/ha/an à 10 000 euros/ha/an pour 20 kg/ha/an de champignons », confie Jean-Claude Fonzes.

Toutefois, la comparaison entre ces plantations et la sylviculture truffière jardinatoire ne doit pas se limiter au seul aspect financier. Ce traitement irrégulier offre aussi d’autres avantages que la seule récolte de truffes. Outre la production de bois de chauffage et l’accueil de la chasse, il procure diverses commodités à ne pas oublier : maintien des paysages, préservation de la biodiversité, protection des sols, lutte contre les incendies… Autant de services non marchands mais qui plaident en faveur de la sylviculture truffière jardinatoire.

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La sylviculture truffière jardinatoire remplit de multiples services.
Crédit photo : B. Rérat

* La truffe est le corps fructifère (ou ascocarpe) du champignon Tuber, contenant des spores, elle est l’organe siège de la reproduction sexuée.

Un marché saisonnier, des prix fluctuants

À l'occasion des fêtes de fin d’année, les papilles gustatives des consommateurs s’échauffent et la valeur de la truffe grimpe en flèche. Le marché de la truffe procède de ce constat depuis que les grandes tables ont popularisé un produit naguère confidentiel et réservé à une élite fortunée. Récoltée au début de l’hiver, la truffe tombe à point nommé pour satisfaire le pic de la demande festive.

Philippe Boit confirme cette singularité. « Le marché de la truffe fraîche est effectivement très saisonnier. Il débute à l’automne, atteint son maximum juste avant les fêtes de fin d’année et s’éteint vers début mars. » Le trufficulteur provençal ajoute qu’outre selon l’époque de mise en vente des champignons, les tarifs varient grandement d’une espèce à l’autre.

En France, trois d’entre elles sont commercialisées pour l’appétence unique de leurs propriétés organoleptiques. La truffe de Bourgogne (Tuber uncinatum) apprécie une ambiance ombragée et se récolte de septembre à décembre. Son prix s’élève parfois jusqu’à 700 €/kg pour une moyenne se situant autour de 200-400 €/kg.

Plus tardive, la truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum) préfère le soleil, la chaleur et des sols plutôt secs bien qu’elle réclame de l’eau en période estivale C’est la truffe indigène la plus chère et la plus abondante sur le marché national. En pleine saison, ses tarifs moyens peuvent atteindre 1200-1300 €/kg avec des pointes à 1 500 €/kg (voir le tableau).

Contrairement aux deux précédentes pouvant provenir d’arbres mycorhizés et plantés, la truffe blanche d’Alba (Tuber magnatum) ne pousse spontanément qu’en milieux naturels et uniquement en Italie et dans quelques régions des Balkans. Du fait de son extrême rareté et de ses fragrances subtiles, ses prix culminent à des sommets astronomiques (jusqu’à 5 000 €/kg).

Toutefois, des recherches scientifiques menées par l’Inrae, en collaboration avec la Pépinière Robin (Hautes-Alpes), ont permis, grâce aux nouveaux outils de l’analyse ADN, d’isoler le vrai mycélium de la truffe blanche puis de produire les premiers plants de chênes pédonculés à truffe blanche. La collaboration s’est ensuite élargie sur le terrain avec le concours de trufficulteurs de Nouvelle-Aquitaine.

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