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Forêt de protection : victoire partielle d'une association citoyenne

Crédit photo M. Bartoli
Nous suivons depuis longtemps la matière spéciale des forêts de protection [1]. Depuis quelques années, ce statut spécial du code forestier, qui avait pour but de transformer une forêt en conservatoire pour la protection des sols, l’érosion… a été attaqué au nom de l’énergie, de l’eau ou autre motif dit d’intérêt général.

Il en va de cela comme de l’abrogation de l’interdiction d’élagage des arbres forestiers de lisière dans la loi du 9 juillet 2001 [2].

C'est-à-dire que l’intérêt de l’arbre et de la forêt est déconsidéré.

En particulier, nous avions rendu compte de la parution du décret n° 2018-254 du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection prévu à l'article L. 141-4 du code forestier [3].

L’association Forestiers du Monde dont nous sommes membres, a jugé que ce décret portait une atteinte nouvelle aux buts de la loi Chauveau de 1922 sur les forêts de protection.

Le Conseil d’État étant saisi, l’instruction s’est déroulée, et le ministère de l’Agriculture n’a pas négligé ce dossier, il a abondamment répliqué [4].

Dans le délai de deux mois imposé pour tout recours contentieux administratif, l’Association a attaqué devant le Conseil d’État [5] le décret n° 2018-254 du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection prévu à l'article L. 141-4 du code forestier.

Exposé

Le Conseil d’État a rendu son arrêt le 18 décembre 2020. [6]

Nous allons ici nous cantonner à l’essentiel.

Il admet d’abord la recevabilité de l’action de l’Association.

L’Association avait soutenu que de donner une autorisation de défricher six hectares était une erreur manifeste d’appréciation. Le Conseil d’État juge le contraire.

L’Association faisait valoir que la règle du silence gardé par le ministre sur la demande de fouilles et extractions et qui vaut accord, était une régression au sens du code de l’environnement [7]. Le Conseil d’État juge le contraire.

Et puis il y avait un article R. 141-38-4 c. for., qui disposait :

« Les opérations de fouilles et de sondages archéologiques autorisées ou décidées en application des articles R. 531-1, R. 531-2 ou R. 531-5 du code du patrimoine avant l'entrée en vigueur d'un classement comme forêt de protection, peuvent être poursuivies sans l'autorisation prévue à l'article R. 141-38-1. Dans les six mois suivant cette entrée en vigueur, le responsable de chaque opération archéologique se fait connaître du préfet de région et lui transmet les éléments permettant d'apprécier les incidences de l'opération sur la conservation et la protection des boisements faisant l'objet du classement. Le préfet de région les adresse sans délai au préfet, le cas échéant celui désigné en application du deuxième alinéa de l'article R. 141-1.

Le préfet examine si les modes d'occupation du sol générés par les opérations mentionnées au premier alinéa sont de nature à porter atteinte aux intérêts mentionnés aux 2° et 3° de l'article R. 141-38-1. Dans l'affirmative, il impose, après avoir porté le projet d'arrêté à la connaissance du responsable de l'opération archéologique en lui laissant quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit et après en avoir informé le préfet de région, toutes prescriptions complémentaires qu'il estime nécessaires en vue de limiter les incidences des travaux sur la stabilité des sols, la végétation forestière et les écosystèmes forestiers, dans les conditions prévues au II de l'article R. 141-38-3. Ces prescriptions sont proportionnées afin de ne pas compromettre l'opération ».

Le Conseil d’État se concentre sur le deuxième alinéa

« Toutefois, ce même deuxième alinéa du nouvel article R. 141-38-4 du code forestier prévoit que les prescriptions que le préfet peut ainsi imposer à une opération de fouille ou de sondage autorisée avant le classement, lorsque ces prescriptions se révèlent nécessaires compte tenu de l'incidence de l'opération sur la stabilité des sols, la végétation forestière ou les écosystèmes forestiers, doivent être " proportionnées afin de ne pas compromettre l'opération ". En imposant ainsi une exigence de proportionnalité au regard des seuls besoins de l'opération de fouille ou de sondage, le décret attaqué méconnaît la nécessité de veiller aussi à ne pas compromettre la conservation ou la protection des boisements qui résulte des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 141-2 du code forestier ».

Et il conclut comme suit.

« Par suite, l'association requérante est fondée à demander l'annulation des dispositions de la dernière phrase du deuxième alinéa de l'article R. 141-38-4 du code forestier, introduit par le décret attaqué, qui sont divisibles des autres dispositions ».

Conclusion

Conclusions sur l’arrêt

Bien sûr, l’Association a obtenu une annulation partielle du décret. En ce sens, c’est évidemment une victoire pour les défenseurs de l’écologie forestière.

Mais il ne faut pas pour autant baisse la garde.

Car, tout d’abord, l’annulation obtenue ne concerne que les fouilles archéologiques, et pas l’exploitation minière ou de carrière.

Et pourquoi le Conseil d’État n’a-t-il pas annulé aussi, pour les mêmes raisons l’article équivalent qui concernait l’exploitation minière ou de carrière ?

À savoir l’article R141-38-9 qui se termine par la phrase :

« Ces prescriptions sont proportionnées afin de ne pas compromettre l'exploitation de la carrière »

Il y a là un oubli inadmissible en toute impartialité, et révélateur des intérêts en cause.

Nous regrettons aussi la procédure d’autorisation implicite [8], qui ne devrait pas exister en matière d’écologie.

Conclusions au-delà

L’article le plus précieux de l’ancienne loi Chauveau de 1922 est actuellement le suivant :

« Article L. 141-2. Le classement comme forêt de protection interdit tout changement d'affectation ou tout mode d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements ».

Rien ne peut être fait en forêt de protection qui compromette la conservation ou la protection des boisements.

Que cette loi vienne à être modifiée dans un sens autre que forestier, et tout l’édifice Chauveau s’écroule (à notre époque où l’on parle tant de biodiversité forestière, le mot devrait être introduit).

Il serait temps de savoir quelle est la place que la France veut accorder aux forêts, et aux forêts de protection.

Force est de remarquer que les scolytes réglementaires, par décret ou arrêté, minent progressivement l’édifice législatif ou réglementaire du Code forestier.

[1] «La législation des forêts de protection », La Forêt privée, 1986, n° 169, pp. 57 à 69, n° 170, pp. 17 à 33. « Des modifications introduites dans le Code forestier par le décret n° 93-604 du 27 mars 1993 », La Forêt privée, n° 212, pp. 32 à 46. « Recherche et captage d'eau en forêt de protection », La Forêt privée, 2007, n° 296, pp. 65 à 73.

[2] Voir notre livre, avec un millier de notes de bas de page, « Mémoire pour servir à la compréhension de la grande loi forestière du 9 juillet 2001 », 385 p. lagardeforets@neuf.fr

[3] « Des attaques contre les forêts de protection », Revue Forestière Française, Libre expression, 2016, n° 4, pp. 379 à 383. « Du triste feuilleton sur les forêts de protection ; ou comment défricher 6 hectares de forêt », La Forêt privée, 2019, n° 367, 80 à 88.

[4] Nous savons de source officieuse, et on pouvait s’en douter, que certains intérêts des mines et carrières étaient à l’origine du décret par personnes interposées. Ainsi va la démocratie, mais le lobbying est officiel au plus haut niveau. Même anti-écologique bien sûr.

[5] On ne peut attaquer un décret réglementaire du premier ministre que devant le Conseil d’État, premier et dernier ressort. Protection spéciale accordée au chef du gouvernement (et au chef d’État).

[6] CE 18 déc. 2020, Association Forestiers du Monde, req. n° 424290.

[7] Article L. 110-1 du code de l’environnement.

[8] Article R. 181-33-1 c. for. et paragraphe 8 de l’arrêt du Conseil d’État.

Gestion forestière

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