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Feux de forêt : les stratégies de prévention interrogées

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Crédit photo Sénat / Alliance Forêt Bois
En juillet, puis en août, les Landes de Gascogne ont connu des incendies mémorables. Des forêts ont flambé dans de nombreuses autres régions de France, y compris dans celles non habituellement touchées par les feux. Ce fut ainsi le cas dans le massif des Vosges. Les stratégies de prévention sont interrogées.

« Depuis 2010, il y a eu une tendance à davantage d'incendies en Europe centrale et septentrionale, avec des incendies dans des pays qui ne connaissent normalement pas d'incendies sur leur territoire », a déclaré à l'AFP Jesus San-Miguel, coordinateur du Système européen d'information sur les incendies de forêt (EFFIS), le 13 août dernier, rappelant en même temps que la situation en termes de sécheresse et de températures extrêmement élevées a touché toute l'Europe cette année. À cette date, et depuis le début de l’année, les incendies de forêt avaient détruit en Espagne 244 924 hectares de terres ; en Roumanie, 150 528 hectares ; au Portugal, 77 292 hectares. Pour ce qui est de la France, l’EFFIS indiquait, au 23 août, un total de 272 feux en France depuis le début de l’année, ayant brûlé 62 084 ha.

À titre de comparaison, en 2021, 214 feux avaient détruit 30 652 ha ; en 2020, 133 feux avaient touché 14 547 ha ; en 2019, 304 feux avaient brûlé 43 602 ha ; en 2018, 21 feux avaient détruit 2 581 ha. – on se souvient pourtant de l’été caniculaire de 2018, qui a marqué le début de l’épidémie de scolytes.

Propositions du Sénat

Dans ces conditions, les stratégies de prévention sont interrogées. Le 3 août 2022, le Sénat a publié un rapport* d’information intitulé « Feux de forêt et de végétation : prévenir l'embrasement » dans lequel il est noté que « parmi les plus grands incendies ayant touché la France ces 40 dernières années, 3 se sont déclenchés en 2021 et 2022 » et qu’« il s’agit des premiers incendies de plus de 5 000 ha depuis 2003 ». Il relève ainsi que « le développement de feux hors normes met à mal la stratégie française de lutte contre les incendies ». et propose d’ « élaborer une stratégie nationale interministérielle prenant en compte l'évolution du risque ».

Le rapport met en avant un certain nombre de propositions phares :

- mieux évaluer la « valeur du sauvé » pour mieux calibrer les moyens de prévention et de lutte contre l'incendie, qui devraient en tout état de cause être significativement accrus. Prévoir en

particulier un doublement des moyens alloués à la prévention ;

- revenir sur les 500 suppressions de postes de l'ONF prévues d'ici à 2025, pour rétablir des postes d'agents de la protection de la forêt méditerranéenne et redéployer plus de personnels sur la défense contre les feux de forêt (DFCI) hors de cette zone ;

- encourager l'élaboration d'un plan de protection des forêts (PPFCI), pierre angulaire de la politique de prévention au niveau local, dans les territoires simplement classés à risque d'incendie ;

- adapter les modalités de mise en œuvre du débroussaillement selon la nature du risque et la réalité des territoires ;

- rendre la franchise obligatoire dans les contrats d'assurance habitation en cas de non-respect des obligations légales de débroussaillement et accroître son montant au-delà de la limite maximale actuellement prévue ;

- abaisser le seuil d'obligation des documents de gestion durable pour la forêt privée à 20 hectares (contre 25 à ce jour), adapter les effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF) en conséquence, créer des postes supplémentaires pour plus d'animation sur le terrain et une dynamisation de la gestion ;

- intégrer aux objectifs des chartes forestières de territoire ou plans de massifs la prévention du risque incendie, afin de faire de la structuration de filières en circuits courts un atout dans la connaissance et la gestion des massifs ;

- instaurer un droit de préemption des parcelles de forêt présentant un enjeu au regard de la défense des forêts contre l'incendie, au profit des communes s'engageant à intégrer la parcelle au régime forestier ;

- permettre au préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles (moissons…) la nuit en cas de fort risque incendie ;

- lancer une campagne de communication sur la prévention au niveau des préfets et des élus à l'automne et à l'hiver, par exemple en matière de débroussaillement ;

- mobiliser le budget des collectivités territoriales pour recruter, former et équiper des jeunes du Service national universel (SNU), afin de prévenir et sensibiliser les usagers en forêt lors des périodes à risque ;

- augmenter le budget de la protection civile pour permettre l'acquisition de moyens aériens (avions et hélicoptères) à la hauteur du risque et s'appuyer, en tant que de besoin, sur la location d'appareils ;

- augmenter significativement, dans un cadre pluriannuel, la dotation de soutien de l'État à l'investissement des SDIS, pour permettre notamment l'acquisition de véhicules et leur renouvellement ;

- conditionner l'aide de l'État à des choix d'essences et de gestion adaptés au risque incendie (par exemple en maintenant des pare-feu, en expérimentant des corridors de feuillus ou une moindre densité de peuplement).

Comprendre et gérer le « carburant » au niveau local

Certes issu d’Australie, pays très différent de la France, Mark Adams, professeur de biosciences et d'innovation à l'université de technologie de Swinburne, membre du groupe d'experts de la Victorian Bushfires Royal Commission et auteur de nombreux travaux sur la biologie et l'écologie des forêts, apporte une vision inédite pouvant intéresser tous les pays, et estime que le feu n’est pas une menace existentielle. Il invite à plus d’humilité. Et surtout à s’appuyer sur les connaissances traditionnelles…

Le feu, explique-t-il, interrogé par le magazine australien Timberbiz, est dans les archives de la végétation depuis 400 millions d'années, augmentant dans les périodes plus chaudes et plus sèches, régressant dans les périodes plus humides et plus froides.

De la première apparition des hominidés il y a 400 000 ans à l'émergence de l'homme moderne il y a 40 000 ans, le feu est devenu un élément indispensable de la vie, du chauffage, de la cuisine et de la gestion des écosystèmes. Les peuples autochtones, tels que les aborigènes australiens, ont réalisé que plus de feu pourrait réduire la fréquence des plantes ligneuses et augmenter les graminées et les espèces herbacées, ce qui a été une connaissance importante acquise tôt, toujours pratiquée aujourd'hui, selon le spécialiste. Or, explique-t-il, la révolution industrielle du XVIIIe siècle a poussé plus loin la « grande séparation » entre les communautés traditionnelles et la vie urbaine, où le feu est devenu redouté et imprégné d'un sentiment d'horreur. Puis, les habitants des zones rurales et régionales ont rompu cette dichotomie. « Les zones rurales et régionales portent le poids des idées urbaines imposées par les capitales les plus touchées par la crise actuelle des incendies », selon Mark Adams. Pour le professeur, ces derniers vivaient près des bois et connaissaient directement le feu ou avaient appris à s'en sortir. « Leur problème est l'imposition depuis les capitales de politiques et de pratiques conçues par des personnes sans expérience directe de la vie avec le feu », déclare-t-il. « La menace existentielle du feu peut être atténuée, mais nous devons utiliser toutes les connaissances – pas seulement de meilleurs avions et satellites, mais aussi les connaissances des peuples autochtones acquises au cours de dizaines de milliers d'années », poursuit-il.

En effet, il montre que l’inflammabilité est loin d’être modélisée par la science, étant quelque chose de très changeant selon la région, la forêt. Une atmosphère plus sèche et une transmission réduite par les arbres (l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère est allée de pair depuis 100 ans avec l'efficacité de l'utilisation de l'eau dans les forêts) sont deux facteurs intervenant dans les feux et… potentiellement contradictoires. « Si l'atmosphère est plus sèche, la couche de litière devrait être plus sèche ainsi que la végétation du sous-étage, mais si les arbres de l'étage supérieur utilisent moins d'eau, cela signifie que le sol est plus humide, la couche de litière est plus humide et les arbustes du sous-étage plus humides. Ce sont des idées opposées en ce qui concerne la couche de litière, l'un des éléments les plus importants de l'inflammabilité des forêts », explique-t-il.

Pour le professeur Adams, cette énigme ne peut pas être résolue pour le moment : « Nous ne savons pas laquelle de ces deux forces, l'atmosphère plus sèche ou les arbres consommant moins d'eau, prévaudra. La litière sera-t-elle plus sèche ou plus humide – ou peut-elle être les deux ? C'est peut-être ce qui se passe – vous pouvez avoir les deux ».

Il explique qu’à certaines périodes de l'année, la litière, les arbustes et la forêt pourraient être plus inflammables en raison du changement climatique, mais que la même litière pourrait être plus humide à différents moments de l'année, également en raison du changement climatique. Selon lui, en Australie, les modèles d'incendie ont été souvent très différents de ce qui s'est réellement passé lors d'incendies. « Les modèles ne font pas un excellent travail pour prédire la charge de carburant », précise-t-il. Le feu est essentiellement alimenté par l'oxygène, le carburant et l'allumage. « Nous ne pouvons rien faire contre l'oxygène, nous ne pouvons pas faire grand-chose contre les éclairs – cela nous laisse avec le seul carburant ». Pour Mark Adams, la différence peut être faite sur les carburants à court terme et plus de cartes de l'activité des incendies ne sont pas nécessaires ; la recherche devrait se concentrer sur la recherche physique sur les incendies : comment fonctionne la combustion, comment les incendies se propagent. « Ce n'est pas un domaine facile. Il doit être actualisé pour essayer de mieux comprendre les risques à grain fin dans les enveloppes de changement climatique, en particulier aux niveaux local et régional », déclare-t-il. « Nous devons rassembler les connaissances des peuples autochtones sur la manière de gérer les forêts et les terres boisées dans le monde. »

* Rédigé au nom de la commission de l'Aménagement du territoire et du Développement durable et de la commission des Affaires économiques par la mission conjointe de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie.

Dans l’immédiat

Le 12 août, la Société royale forestière de Belgique rappelait aux propriétaires forestiers privés les mesures de prévention à appliquer immédiatement en forêt privée :

- veiller à l’ouverture des cadenas des barrières pour faciliter le passage des services d’incendie ;

- matérialiser l’interdiction d’utilisation d’aires de barbecue à l’aide de rubalise ;

- exercer une surveillance soutenue de ses bois, en particulier dans les zones à risque ;

- prévoir un affichage préventif dans les zones à risque (en téléchargeant par exemple les visuels utilisés en forêt publique) ;

- attirer l’attention des promeneurs et mouvements de jeunesse qui se trouveraient à proximité de ses parcelles sur les risques potentiels ;

- en cas de suspicion de départ d’incendie, composer immédiatement le 112.

Concernant les exploitants et entrepreneurs de travaux forestiers, des Arrêtés préfectoraux d'interdiction et de recommandations (interdictions ou recommandations d’usages des machines dans les champs, forêts et bords de route à certaines heures de la journée ou encore le report de travaux forestiers) ont été pris, y compris en région Grand Est. En effet, les “travaux mécanisés” utilisent des engins et outils à moteur thermique ou électrique susceptibles d’entraîner une étincelle (tronçonneuse, débroussailleuse, etc.).

Parmi les décrets publiés :

- recommandation de report des travaux forestiers et interdiction de feux type bûcher ;

- interdiction de circulation motorisée en forêt, bois ou lande, de 13 heures à 21 heures en dehors des routes ouvertes à la circulation publique, sauf aux propriétaires forestiers et aux personnes chargées d’une mission de service public intervenant dans l’exercice de leur fonction, y compris aux chasseurs ;

- interdiction totale de produire des flammes et interdiction d’utilisation d’outils générateurs d’étincelles dans et à proximité d’un milieu naturel ;

- recommandation d’évitement de l’usage d’engins thermiques à compter de 12 heures.

Certains courent jusqu’au 1er septembre.

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