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De l'arrêt du Conseil du Roi du 23 décembre 1690 en matière de carrières en forêts

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Crédit photo Светлана Акифьев
[Les décryptages et chroniques juridiques de Michel Lagarde, avocat à la Cour, spécialisé en droit forestier, auteur du Code forestier commenté en trois volumes.]
À l’heure où il a engagé depuis juin 2018 un procès en Conseil d’État contre un décret du Premier ministre autorisant la réalisation de carrières dans les forêts de protection (1), Michel Lagarde estime opportun de commenter un arrêt du Conseil du Roi, qui traite de la même matière, mais qui remonte au 23 décembre 1690 !
 

Il s’agit précisément de l’Arrêt du Conseil du 23 décembre 1690 Qui fait défenses d’ouvrir des carrières dans l’étendue et aux reins des forêts, sans la permission de sa Majesté, et l’attache du Grand Maître des Eaux et Forêts.

Cela montre qu’en certains domaines, les appétits sont les mêmes, et que les forêts doivent en être défendues.

L’arrêt commence ainsi, de manière plaisante, par un rappel du Droit :

« Le Roy s’étant fait représenter en son Conseil son Ordonnance sur le fait des Eaux et des Forêts du mois d’août 1669, article XII du Titre de la Police, portant défenses à toutes personnes d’enlever dans l’étendue et aux reins des Forêts, sables, terres, marnes ou argile, sans permission expresse de sa Majesté, et aux Officiers de le souffrir, à peine de 500 livres d’amende, et de confiscation des chevaux et harnais ».

(Nous ouvrons une parenthèse spéciale pour le mot « reins ». Assez curieusement, nous ne l’avons pas trouvé dans le Dictionnaire historique de la Langue française en deux volumes de presque chacun deux mille pages. Mais par contre, nous l’avons trouvé dans l’ouvrage d’Édouard Meaume, Commentaire du Code forestier, édition de 1846, tome III, Commentaire de l’Ordonnance du Roi (Charles X), Annexes, p. 501 avec comme définition « Bordure, rive, lisière des forêts »).

Fermons cette parenthèse sémantique.

L'Odonnance de 1669

Et c’est là qu’il est constaté que le droit n’était pas parfait, puisqu’on avait oublié les carrières.

« Et Sa Majesté étant informée que sous prétexte qu’il n’a pas été fait pareilles défenses d’y ouvrir des carrières, il y a eu des Particuliers qui ont entrepris d’y en ouvrir sans aucune permission, et d’y tirer quantité de pierres, et ruiner tous les environs par les décombres et les chemins qu’ils y ont pratiqué ».

Et qu’il s’agit d’un vide qu’il faut combler ! Il est donc commencé par la lecture d’un rapport sur cette question.

« Et voulant y pourvoir : Oui le rapport du sieur Phelypeaux de Pontchartrain, Conseiller ordinaire au Conseil Royal, Contrôleur général des Finances ».

Le Roi procède ensuite à l’établissement de la règle.

« Sa Majesté en son Conseil, conformément à l’Ordonnance de 1669, a fait très expresse inhibitions et défenses à toutes personnes de faire aucunes ouvertures de carrières dans l’étendue et aux reins des forêts de Sa Majesté, sans la permission expresse, et l’attache du Grand Maître des Eaux et Forêts du Département, à peine de mille livres d’amende ».

On notera que le département visé ici n’est pas celui que nous connaissons institué par la Révolution de 1789 ; mais que le mot existait.

Ensuite, suivant un procédé traditionnel sous l’Ancien Régime, certains « fonctionnaires » sont rendus responsables sur leur patrimoine propre de leurs fautes à ne pas avoir préservé l’intérêt du Roi. [2]

« et aux Officiers des maîtrises particulières de le souffrir ; à peine d’interdiction, et de répondre en leurs propres et privés noms, de tous dommages et intérêts résultants desdites ouvertures ».

En outre, l’arrêt contient une formule exécutoire.

« Enjoint Sa Majesté aux Sieurs Grands Maîtres des Eaux et Forêts de France, chacune dans leur Département, de tenir la main à l’exécution du présent Arrêt ».

Enfin, la date de l’arrêt est donnée.

« Fait au Conseil d’État du Roy, tenu à Versailles le vingt-troisième jour de décembre mil six cens quatre-vingt-dix. Collationné, Signé De Laistre ».

De nos jours

Actuellement, le code forestier ne contient pas de disposition sur les carrières, en dehors de celles introduites dans le décret que nous avons attaqué.

C’est l’article L. 163-10 du Code forestier, qui fait partie de l’héritage en cette matière par une disposition applicable en toutes forêts :

« Le fait, sans l'autorisation du propriétaire du terrain, de procéder à l'extraction ou l'enlèvement d'un volume supérieur à 2 mètres cubes de pierres, sable, minerai, terre, gazon ou mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais est puni conformément aux dispositions des articles 311-3, 311-4, 311-13, 311-14 et 311-16 du Code pénal ».

De même, l’article R. 163-4 dispose en complément :

« Le fait, sans l'autorisation du propriétaire du terrain, de procéder sur celui-ci à l'extraction ou l'enlèvement d'un volume inférieur à 2 mètres cubes de pierres, sable, minerai, terre, gazon ou mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe ».

Ajoutons qu’actuellement si on veut trouver le régime des carrières, il faut prendre le nouveau Code minier en son livre III.

L’article L. 111-1 du code minier définit les critères des gîtes qui relèvent de la police des mines, et ceux qui indirectement relèvent des carrières.

***

Il reste que depuis la procédure initiée en 1690 pour lutter contre ce fait ; « y a eu des Particuliers qui ont entrepris d’y en ouvrir sans aucune permission, et d’y tirer quantité de pierres, et ruiner tous les environs par les décombres et les chemins qu’ils y ont pratiqué » on doit constater ce qui suit.

Le fait perdure, et s’est industrialisé.

La quantité de réglementation s’est accrue.

L’habileté des lobbies en tout genre aussi.

Et notre expérience contentieuse nous prouve que ce n’est pas pour autant que le fait diminue.

Il y a là matière à réflexion.

(1) Voir l’article « Du triste feuilleton sur les forêts de protection ou comment défricher 6 ha de forêt de protection » dans La Forêt Privée n°367 de mai-juin 2019.

(2) Voir toujours la responsabilité des comptables publics pour les deniers publics.

 

Gestion forestière

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