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De la responsabilité pour incendie d'une pelle hydraulique louée

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Crédit photo Bumble Dee - stock.adobe.com
Une affaire jugée récemment mérite d’être rapportée ici, car elle concerne la location d’une pelle hydraulique pour un usage forestier, ayant engagé une responsabilité pour cause d’incendie.

Comme à l’ordinaire, nous résumerons les faits, la législation applicable, et le raisonnement du juge que nous prendrons au niveau de l’appel [1] ; avant de porter notre conclusion.

Les faits

Par un contrat en date du 23 août 2013, une société X loue à la société Z, entreprise de travaux forestiers, pour une durée de trois mois et avec option d'achat, une pelle hydraulique sur chenille neuve (de marque DOOSAN, modèle DX 140 LCR n+5834).

Lors d’une utilisation de la pelle dans la forêt d'Orléans, le 18 octobre 2013, l'engin prend feu.

Les parties conviennent de deux expertises amiables.

Puis la société X saisit le tribunal de commerce en référé, et obtient la désignation d'un expert judiciaire à fin de déterminer les causes du sinistre.

Par suite, l’expert dépose son rapport le 5 janvier 2016.

Par actes du 26 avril suivant, la société X fait assigner la société Z locataire et son assureur, Groupama Grand Est (Groupama), devant le tribunal de commerce d'Orléans.

Ceci à fin de les entendre solidairement condamner, à lui payer la somme de 125 000 euros en principal, au titre de la destruction de la pelle hydraulique [2].

Par jugement du 15 septembre 2017, le tribunal a jugé que la société Z locataire ne pouvait répondre de l'incendie et la met hors de cause.

La société X est donc déboutée, et elle relève appel de cette décision.

La législation

C’est le Code civil qui s’applique ici, et plus particulièrement un chapitre sur le louage des choses.

Ainsi, l’article 1732 du Code civil dispose au sujet du preneur (locataire) :

« Il répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute ».

En outre, l’article 1733 du même code dispose :

« Il répond de l'incendie, à moins qu'il ne prouve :
Que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction.
Ou que le feu a été communiqué par une maison voisine ».

Le fait le plus remarquable est donc l’incendie. L’article 1733 établit une présomption de responsabilité. La charge de la preuve incombe donc au locataire, qui ne peut s’en dégager qu’en prouvant une cause d’incendie par suite de cas fortuit, force majeure ou vice de construction.

Le raisonnement de la cour d’appel

Principes de responsabilité

La Cour lit le Code civil comme suit :

« Si l'article 1732 du code civil énonce que le locataire répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute, la responsabilité du locataire se trouve aggravée en cas d'incendie, en application de l'article 1733 qui prévoit dans ce cas que le locataire ne peut plus se dégager par la seule preuve de l'absence de faute, mais doit prouver, s'agissant d'une location de bien mobilier comme en l'espèce, que l'incendie est dû à un cas fortuit, à la force majeure ou à un défaut de construction.

C'est donc au preneur qu'il incombe de prouver l'origine de l'incendie, ce qui, sauf le cas particulier des incendies d'origine criminelle, laisse à sa charge tous les incendies dont on ne peut déterminer la source avec précision ».

En cas d’incendie, la Cour reconnaît donc la présomption de responsabilité du locataire, dès lors que la cause de l’incendie n’est pas certaine. Sauf l’hypothèse criminelle.

Il importe donc d’analyser la cause du feu.

Cause du feu

La Cour note d’après le rapport de l’expert judicaire que :

« La cause du départ de feu est l'accumulation de débris végétaux au niveau du turbocompresseur (dans le compartiment moteur) ou à proximité immédiate (contre le pot d'échappement) ».

Mais elle constate :

« qu'il existe un doute sur l'origine exacte de cet incendie, qui n'a pu être déterminée avec certitude ».

En effet :

« S'il est établi que l'incendie provient de l'inflammation des débris végétaux qui se trouvaient accumulés dans le compartiment chaud du bloc-moteur, les investigations menées n'ont pas permis de déterminer si cet amas de végétaux s'est auto-enflammé ou si le phénomène d'inflammation est le résultat d'une fuite hydraulique liée à la défectuosité du flexible de retour de joint retrouvé fissuré ».

Les rapports successifs faisaient en effet état d’un flexible fissuré, laissant présumer une fuite.

Mais la cause de l’inflammation restait incertaine : auto-inflammation ou résultat d’une fuite.

Imputation au locataire

La Cour s’oriente alors vers des fautes.

D’abord la pelle hydraulique n’était pas spécialement à un usage forestier.

« L’engin en cause, conçu pour des travaux de terrassement, n'était pas équipé… pour servir à un usage forestier ».

À notre avis, il y a là un point important qui n’a pas été suffisamment exploité. Car le propriétaire de la pelle aurait dû faire une remarque dans le contrat sur ce point. Cela ne semble pas être le cas.

Par ailleurs, même si la cause du feu n’est pas connue, le fait favorisant est le dépôt de feuilles. C’est sur ce point que la Cour insiste.

« Dès lors que le seul événement certain, à savoir l'accumulation de débris végétaux dans le bloc-moteur, n'était pas imprévisible, puisque l'engin en cause, conçu pour des travaux de terrassement, n'était pas équipé d'éléments de filtration complémentaires pour servir à un usage forestier ».

Pour un forestier, non seulement ce n’était pas imprévisible, mais ce n’était pas irrésistible.

« Cette accumulation de débris n'était pas irrésistible, puisque même difficile d'accès, le bloc-moteur pouvait être nettoyé ».

Et en conséquence, c’est la société Z locataire qui en était responsable :

« Qu'enfin cette accumulation de débris végétaux, directement liée à l'activité de la société Z, ne présentait pas de caractère d'extériorité, c'est par erreur que les premiers juges, qui avaient seulement caractérisé l'absence de faute de la locataire, ont retenu que l'incendie résultait d'un cas fortuit ».

Arrêt

La cour conclut comme suit :

« Dès lors qu'elles ne démontrent pas que l'incendie trouve sa cause dans un événement présentant les caractères de la force majeure ou dans un défaut de conception de l'engin, la société (Z) qui supporte la charge de la preuve, et donc le risque de la preuve, doivent répondre de l'incendie litigieux ».

Par suite la société locataire de la pelle hydraulique est condamnée à en payer le prix [3].

Conclusions

Voici donc consacrée la responsabilité du locataire d’une pelle hydraulique, en vertu du Code civil.

Si nous avions un conseil à donner, c’est de conseiller au loueur d’introduire dans le contrat une clause de limitation de responsabilité pour un usage autre que celui de l’engin.

Et pour le locataire, le conseil de prendre garde à ce qu’on prend en location d’abord, ensuite de bien connaître la machine louée, et de l’entretenir.

Enfin, de connaître la responsabilité que le droit fait peser sur le locataire d’une chose louée, comme une pelle.

[1] CA Orléans, 19 décembre 2019, n° de RG : 17/030041.

[2] Il y a aussi une demande d’intérêt au taux légal, dont nous ne rendons pas compte, pour garder le principal.

[3] Nous ne parlons pas de cette question, qui est assez mécanique.

Gestion forestière

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