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Feuillus et construction : entre freins et perspectives

Le 12 janvier dernier avait lieu à la Maison de l’architecture d’Île-de-France une conférence portant sur la ressource forestière et la construction en feuillus. Organisée par Fibois Île-de-France et l’UICB (Union des industriels et constructeurs bois), elle fut l’occasion de faire le point sur la situation, notamment en Île-de-France, mais aussi plus largement au niveau national, et d’évoquer, à travers divers témoignages, des pistes qui permettraient de tirer un meilleur parti d’une ressource disponible en abondance, mais qu’il demeure difficile de pleinement valoriser.

Cette conférence était la première d’un cycle de dix au total qui se tiendront au fil de l’année, autour du thème « l’Architecture sort du bois ». Elles ont pour vocation d’aller à la rencontre d’un public composé notamment d’architectes, d’aménageurs et de maîtres d’ouvrage, afin de convaincre ces professionnels, et plus largement le grand public, de l’intérêt d’exploiter le bois au niveau local afin de l’intégrer de manière croissante à la construction de nouveaux bâtiments. Cette première conférence du 12 janvier était organisée en trois parties : après une présentation de la filière forêt bois en région Île-de-France, la seconde partie était consacrée à la problématique de l’exploitation de la ressource en feuillus ; enfin, divers projets mettant en œuvre des essences feuillues étaient présentés.

« Les forêts domaniales sont auditées chaque année. Nous avons par ailleurs mis en place des contrats d’approvisionne- ments, ce qui permet à l’ONF de centraliser les informations et de maîtriser au mieux la qualité du chantier », a expliqué Michel Béal, directeur de l’agence territoriale Île-de-France ouest à l’ONF.
Crédit photo : Fibois Île de France

La conférence était introduite par Scarlett Boiardi, responsable du pôle amont forestier et bois-énergie pour Fibois Île-de-France, celle-ci rappelant la méconnaissance, d’une manière générale, des architectes, aménageurs et maîtres d’ouvrage, quant aux caractéristiques de la filière bois et par-delà aux possibilités qu’elle offre.

Cette conférence était donc avant tout l’occasion de rappeler que seule une relativement faible part de l’accroissement naturel forestier au niveau national est actuellement exploitée (seulement 40 %, en moyenne, dans le cas des feuillus). « Des efforts sont nécessaires pour développer la transformation des feuillus, mais pour ce faire, il faut identifier davantage de débouchés, en d’autres termes développer le marché en aval », remarquait Scarlett Boiardi, évoquant l’espoir d’aides publiques qui, idéalement, permettraient de prendre en charge, dans le cas d’un promoteur souhaitant privilégier ce type d’essences, la différence que cela implique en matière de coûts. À propos d’aides publiques, on retiendra à titre d’exemple une scierie de feuillus basée en Île-de-France et réalisant une production de seulement 3 000 m3 par an, mais qui, étant lauréate d’un appel à projets du conseil régional, espère atteindre à terme, via un financement de plusieurs millions d’euros, un volume d’environ 12 000 m3, les investissements envisagés incluant aussi un projet de séchage. Un projet à saluer, d’autant plus si l’on considère que seuls 1 % des bois récoltés en Île-de-France sont transformés en région.

« L’essentiel est de pratiquer en région Île-de-France une sylviculture de très haute qualité, du fait du prix très élevé du foncier », note Rémi Foucher, président du syndicat des forestiers privés d’Île-de-France Fransylva.
Crédit photo : Fibois Île de France

« En plus d’accroître la capacité de production des scieries de feuillus, il s’agit de développer la transformation de feuillus en produits à haute valeur ajoutée », soulignait Scarlett Boiardi : « Le fait est que nous produisons trop peu de produits tels que le lamellé-collé, le contreplaqué ou le CLT, l’ensemble ne couvrant que 20 % de la demande au niveau national. Or il est important de développer davantage ces produits, sachant que parallèlement à une baisse de l’ossature bois, on enregistre une hausse importante des techniques de construction par poteau-poutre et impliquant du CLT. Fibois Île-de-France est actuellement en discussion avec la mairie de Paris afin d’accompagner le développement d’un approvisionnement local, et par-delà, via des groupes de travail prenant en compte des retours d’expériences de la part d’aménageurs, de valider de nouvelles utilisations des feuillus en construction ».

« Le fait est que nous produisons trop peu de produits tels que le lamellé-collé, le contreplaqué ou le CLT, l’ensemble ne couvrant que 20 % de la demande au niveau national », note Scarlett Boiardi, responsable du pôle amont forestier et bois-énergie pour Fibois Île-de- France.
Crédit photo : Manubois

« Il est important » a-t-elle poursuivi, « de rassurer les utilisateurs finaux grâce à des avis techniques, en montrant que certaines essences feuillues peuvent soutenir la comparaison avec les résineux, entermes de résistance, notamment. Notre interprofession a élaboré, avec la ville de Paris et le conseil régional, le pacte Bois biosourcé Île-de-France, dont l’objectif est de massifier l’utilisation du bois dans la construction en région (ce pacte, qui s’adresse à tous les aménageurs et maîtres d’ouvrage publics comme privés, au travers d’engagements de résultat et de moyens, conclu le 5 novembre 2020, compte 40 signataires à ce jour, N.D.L.R.). Parallèlement, il est prévu de mettre en place un démonstrateur relatif à l’emploi des feuillus en construction, à travers cinq opérations ».

Se réapproprier les atouts locaux

« La forêt privée est moins dynamique en région Île-de-France qu’ailleurs », constatait quant à lui Michel Béal, directeur de l’agence territoriale Île-de-France ouest à l’ONF, qui a rappelé que la forêt francilienne se compose de feuillus à 80 %. Un enjeu fondamental, selon lui, est de continuer de sensibiliser le grand public, pas toujours bien informé, quant au fait que la forêt régionale est bien entretenue, car il s’avère, remarquait-il, que la perception de nos concitoyens de l’acte de couper du bois a empiré durant ces dernières années : « Or il est nécessaire, plus que jamais, que nos forêts conservent une fonction de production ; tandis que d’aucuns allèguent que l’on suppose au châtaignier une maladie, afin de se permettre d’en couper plus légitimement ! L’ONF s’est donc associé à Fibois Île-de-France, afin que son message porte d’autant plus. Nous espérons que les architectes et maîtres d’ouvrage présents lors de la conférence fassent passer le message que couper du bois n’est pas un crime », soulignait-il.

Une énorme demande en bois

C’est d’autant plus vrai si l’on considère les actions mises en place par l’ONF, relativement à la gestion quotidienne de la forêt : « Afin d’éviter les coupes rases, nous sommes passés en futaies irrégulières », précisait Michel Béal : « Les forêts domaniales, en outre, sont auditées chaque année. Nous avons par ailleurs mis en place des contrats d’approvisionnements, ce qui permet à l’ONF, à la différence de la vente de bois sur pied, de centraliser les informations et de maîtriser au mieux la qualité du chantier », a-t-il expliqué. Cette stratégie, qui bien sûr a un coût, a été mise en place au niveau régional depuis cinq ans, afin que les forêts locales puissent continuer de produire dans les meilleures conditions, tout en dépassant certains préjugés.

« Les trois quarts de la forêt francilienne sont privés, sachant qu’on dénombre en Seine-et-Marne quelque 60 000 propriétaires forestiers possédant essentiellement des parcelles d’une superficie inférieure à un hectare », a rappelé Rémi Foucher, président du syndicat des forestiers privés d’Île-de-France Fransylva, qui remarquait par ailleurs que l’institut technologique FCBA « a commencé à travailler sur des normes relatives à l’usage des feuillus en construction, mais ces normes, jusqu’à il y a peu, ne concernaient que les résineux ».

« Le marché francilien », poursuivait-il, « se caractérise par une énorme demande en bois, tant pour les secteurs de la construction que de l’énergie. Or, force est de constater que le besoin de transformation au niveau local se heurte à plusieurs freins : en plus d’un déficit en matière de formation concernant la sylviculture, le foncier est très cher, ce qui ne favorise évidemment pas l’implantation d’unités de transformation. Nous sommes donc confrontés à un paradoxe : car tandis que la ressource et la demande existent bel et bien au niveau local, le développement des circuits courts demeure difficile. Aux freins évoqués s’ajoute une influence parfois peu favorable des pouvoirs publics, soucieux de préserver des « sanctuaires forestiers », au détriment du potentiel productif de la forêt ».

« Nous devons promouvoir les applications où le produit de structure en hêtre est le plus pertinent », analyse Maxime Castel, prescripteur hêtre structurel chez Manubois.
Crédit photo : Manubois

D’où l’idée, invoqué par Rémi Foucher, de trouver un équilibre auquel pourrait en outre participer la réintroduction d’essences feuillues jadis employées en construction et que l’on a depuis délais- sées : « C’est le cas du peuplier Grisard (hybride naturel du tremble et du peuplier blanc, N.D.L.R.) : il s’agit d’une essence qui au niveau local pousse bien, et même trop bien, serait-on tenté de dire, et qui pourtant n’est pas exploitée, alors qu’il s’agit bel et bien d’un bois de structure possible », notait le président de Fransylva, qui regrette le fait que l’on ait, d’une manière générale, « perdu l’usage du bois de proximité », et soulignait l’importance, selon lui, de réfléchir à « utiliser d’autresfeuillus que le chêne et le châtaignier ».

Une autre de ses préconisations, qui rejoint celle-ci, concerne le choix des essences à cultiver : « Il ne faut pas se lancer à tout prix dans le résineux, si le terrain n’est pas propice. L’essentiel est de pratiquer en région Île-de-France une sylviculture de très haute qualité, du fait du prix très élevé du foncier. Il faut par conséquent que les industriels se réapproprient ce que les forêts sont capables de donner, tout spécialement en matière de feuillus, et que le fruit de cette récolte ne soit pas destiné à alimenter des usines de pâte à papier, mais bien plutôt à servir de matière première pour créer des produits de haute valeur ajoutée », estime Rémi Foucher.

Vers une démocratisation possible ? 

En plus d’intervenants appartenant à l’amont, l’aval de la filière feuillus était également représenté lors de cette conférence, à commencer par Maxime Castel, prescripteur hêtre structurel chez Manubois. Cette société, appartenant au groupe Lefebvre (basé en Normandie), est spécialisée dans la seconde transformation du hêtre depuis plus de 40 ans. C’est d’ailleurs de cette essence qu’est faite la charpente de son atelier de prédébits, éléments de base de nombreux produits, dont le lamellé collé, atelier inauguré voici un an environ. Maxime Castel possède une vision pertinente fondée sur une solide expérience du terrain : avant de travailler pour Manubois, il a en effet œuvré durant dix ans au sein de la filière bois, en entreprises, en bureau d’études, puis au sein de l’interprofession Fibois Normandie comme prescripteur. Il estime, à propos du hêtre : « Nous devons promouvoir les applications où le produit de structure en hêtre est le plus pertinent. Nous savons que le hêtre n’a pas vocation à remplacer le résineux en structure. Par contre, il est apte à remplacer le béton et le métal dans certains cas ». Le comportement du hêtre en compression lui permet en l’occurrence, de reprendre des efforts verticaux très importants : « On parvient à diminuer les sections des poteaux de moitié avec le hêtre dans des conditions optimales », a souligné Maxime Castel lors de la conférence.

Un investissement entre 15 et 20 millions d'euros

Or Manubois, bien que dynamique et croyant à son produit, se situe, disons, à un point de bascule : « Nous sommes aujourd’hui en mesure de proposer un produit de qualité, mais en l’état, le marché n’est pas suffisant. Il nous faut explorer de nouvelles pistes », déclarait Maxime Castel, précisant : « Si nous prenons la décision de construire une usine destinée à produire du lamellé-collé à base de hêtre, cela implique un investissement d’un montant compris entre 15 et 20 millions d’euros ; investissement qui ne sera rentabilisé, par-delà, qu’à la condition de produire un volume d’environ 8000m3 paran». D’où la raison de sa présence à cette conférence, procédant de l’espoir d’identifier, au moins d’une façon plus précise, les possibles débouchés conditionnant la décision d’investir.

« Pour l’heure, le lamellé-collé à base de hêtre est essentiellement employé en poteaux », expliquait Maxime Castel : « Or ce type d’usage n’absorbe, individuellement, que de faibles volumes, tandis qu’il nous faudrait, afin de viser une rentabilité optimale, davantage de projets de plus grande ampleur, capable chacun d’absorber des volumes importants ». Des débouchés dépendant eux-mêmes d’un contexte réglementaire sujet à évolution : « Le hêtre serait pertinent dans le cas de bâtiments assujettis à la réglementation incendie, dont une nouvelle version, faisant suite à la publication par la préfecture de police de Paris d’une doctrine pour la construction des immeubles en matériaux biosourcée et combustibles (et datée quant à elle du 20 juillet dernier, N.D.L.R.), devrait être connue l’été prochain. Si cette nouvelle réglementation limite l’usage du bois au- delà de cinq étages, cela risque de limiter considérablement les possibilités ».

Le projet d’usine de production de lamellé-collé à base de hêtre en- visagé par Manubois aurait pour vocation, comme l’a précisé Maxime Castel, « de réaliser des éléments simples, de faibles longueurs, mais de façon plus industrialisée, avec l’objectif de garantir à la fois qualité et réactivité.»
Crédit photo : Manubois

Ce qui serait d’autant plus regrettable, quand on sait les efforts consentis par le spécialiste du hêtre en vue d’imposer, de manière croissante, cette essence en structure, qu’il s’agisse de tests liés à la résistance au feu, ou de caractérisation mécanique : « Lorsque je travaillais pour Fibois Normandie, la filière a conduit un projet de caractérisation du hêtre en collaboration avec Manubois, qui se distingue par sa capacité de transformation, allant de la scierie au produit fini. Cette conférence tombe à un moment de doute : les engagements concrets des acteurs de la construction sont pour l’instant inférieurs à l’intérêt qu’ils nous manifestent depuis notre lancement sur le marché du bois de structure. Nous avons déjà investi dans un nouvel atelier, et pourrions a priori bénéficier d’une subvention de l’ordre de 1,6 million d’euros pour bâtir une usine, mais cette somme ne correspond qu’à 10 % du montant total. C’est pourquoi il est important pour nous de poursuivre notre communication et d’intensifier nos liens avec les acteurs de la construction. Nous restons optimistes et volontaires. Pour convaincre, il faut démontrer la pertinence de notre produit et notre capacité à alimenter le marché. Nous travaillons en ce sens, tout en restant prudents compte tenu des incertitudes qui demeurent. », estime Maxime Castel.

« Le développement de l’usage des feuillus en construction peut progresser parallèlement au marché », estime Christian Balanche, directeur général de l’entreprise Simonin SAS.
Crédit photo : Fibois Île de France

« L’usine que nous envisageons ferait des éléments de 8 mètres maximum », a-t-il précisé : « Nous avons chiffré l’usine en vue de réaliser des éléments simples, de longueurs limitées, mais optimisés selon un procédé industriel, avec l’objectif de garantir à la fois qualité et réactivité ». Une approche pragmatique, donc, et qui correspond à une vision réaliste : « Sauf spéculation sur les résineux, il y a fort à parier que le hêtre demeurera toujours beaucoup plus cher. Ainsi, et comme l’ensemble des feuillus, il est probable que bien que majoritaire en matière de ressource, il demeure très minoritaire relativement à son usage en construction ».

Quant à Christian Balanche, directeur général de l’entreprise Simonin SAS à Montlebon (25), spécialisée dans la conception et la fabrication de structures bois pour la construction, s’il convient que le marché des feuillus « demeurera une niche par rapport au reste », il estime que la part des feuillus progresse, bien que lentement : « En ce qui nous concerne, le lamellé-collé à base de feuillus que nous proposons correspond à seulement 10 % au total, contre environ 90 % de résineux, mais cette part tend à croître », a-t-il noté, ajoutant que « le feuillu est employé pour des critères esthétiques, comme dans le cas du chêne, et aussi par exemple pour des qualités de résistance, comme dans le cas du hêtre. Une essence qui a bel et bien sa place dans le cadre des bâtiments de grande hauteur, les poteaux de lamellé-collé à base de hêtre permettant de gagner en souplesse ». Il estime, en outre, que même si cela impliquera des investissements conséquents, « le développement de l’usage des feuillus en construction peut progresser parallèlement au marché », avec donc, notamment, l’avènement des bâtiments de grande hauteur : « Dans les années quatre-vingt, le lamellé-collé en général était peu développé dans le secteur de l’habitat », rappelait-il : « La démocratisation des feuillus ne sera peut-être pas aussi importante que celle qu’ont connue les essences résineuses, mais des pistes existent, à l’instar de la mixité entre feuillus et résineux, et du développement des circuits courts, même si cette perspective implique bien entendu une meilleure structuration de la filière forêt- bois française, au sens large ».

 

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