En 2020, il reste 1.070 millions d’hectares de forêt tropicale humide dans le monde contre 1.290 millions d’hectares en 1990. 220 millions d’hectares de forêts tropicales humides ont ainsi été perdus dans le monde depuis trois décennies ! C’est le chiffre révélé par une étude cartographique inédite dont les résultats ont été publiés le 5 mars 2021 dans la revue Science Advances*. Effectué par une équipe associant des scientifiques du Centre commun de recherche (JRC) de la Communauté européenne, du Cirad, du Cifor et de l’INPE, ce travail est basé sur la compilation de trente ans de données satellitaires sur les perturbations du couvert forestier tropical mondial.
L’évaluation de l’évolution de la déforestation et de la dégradation des forêts depuis 1990 a été faite avec une précision sans précédent, indique le Cirad. Les cartes à haute résolution spatiale (30 m) fournissant des informations annuelles sur la déforestation et la régénération des forêts tropicales humides sur la période 1990-2019, mais aussi pour la première fois sur leur dégradation, ont été analysées, qui ont permis de différencier les causes de déforestation ou de dégradation des forêts : agriculture, exploitation forestière ou feux de forêt.
«Les données satellites nous montrent que, entre 1990 et 2020, ce sont environ 7 millions d’hectares de forêt tropicale humide qui ont disparu en moyenne chaque année. Cela équivaut environ à la taille de l’Irlande, tous les ans» , précise Ghislain Vieilledent, écologue spécialiste des forêts tropicales au Cirad et co-auteur de l’article.
L’étude révèle que les précédents travaux ont largement sous-estimé la déforestation, en particulier sur le continent africain. En Afrique, la déforestation associée à l’agriculture sur brûlis est de type mosaïque, affectant des surfaces de forêts petites mais multiples, ce qui la rend plus difficile à détecter par satellite. Les 17% de forêt tropicale humide qui ont disparu depuis 1990 l’ont été au profit de l’agriculture et d’autres utilisations des terres.
Les forêts tropicales qui subsistent sont par ailleurs très dégradées, indiquent les chercheurs. La dégradation des forêts tropicales, qui est caractérisée par une perte ponctuelle du couvert forestier, est associée majoritairement à l’exploitation de bois, aux feux de faible ampleur et aux perturbations naturelles comme les tempêtes. Sur les 1.070 millions d’hectares de forêt tropicale humide en 2020, 10% constituent de la forêt dégradée et ont une forte chance d’être déforestés dans un futur proche. Car en effet, environ la moitié des forêts dégradées sont par la suite déforestées, indiquent les chercheurs. Et la situation semble s’accélérer, comme le note Christelle Vancutsem, spécialiste en télédétection au JRC et première autrice de l’étude : «Sur les cinq dernières années, de 2015 à 2019, on observe une forte augmentation de la dégradation des forêts : 2,6 millions d’hectares en plus par rapport à la période 2010-2014». Cette tendance s’explique notamment par des conditions climatiques particulières (sécheresses et feux associés à l’effet El Nino).
La déforestation et la dégradation des forêts constituent une menace majeure pour le climat et la biodiversité. «La conversion des forêts pour un usage agricole est la deuxième source d’émissions de CO2 dans l’atmosphère après la combustion d’énergies fossiles», rappelle Ghislain Vieilledent.
La carte de l’évolution du couvert forestier sur la période 1990-2019 et sur un pas de temps annuel est mise à disposition de la communauté scientifique et du grand public.
* Vancutsem C., F. Achard, J.-F. Pekel, G. Vieilledent, S. Carboni, D. Simonetti, J. Gallego, L. Aragao and R. Nasi. 2021. Long-term (1990–2019) monitoring of forest cover changes in the humid tropics . Science Advances (Sci. Adv.) 2021; 7 : eabe1603
Illustration : Carte des forêts tropicales humides restantes en janvier 2020 (panneaux par continents) © Science Advances , Vancutsem et al. 2021.
